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Education sexuelle et à la vie affective et relationnelle : quel défi pour l’ONG GECOSOW

Dans notre projet d’éducation sexuelle et à la vie affective et relationnelle à travers notre site, nous avons voulu recueillir l’avis d’un éminent spécialiste de la santé sexuelle, le docteur Armand LÉQUEUX.
Prof. Armand LÉQUEUX est docteur en médecine, gynécologue, sexologue et auteur. Il est Professeur émérite de sexologie clinique en faculté de psychologie et faculté de médecine à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve. Dans cet entretien, il nous parle de l’importance de l’éducation sexuelle et à la vie amoureuse.
ONG GECOSOW : Bonjour Professeur ! Nous venons à vous dans le cadre de notre projet d’éducation sexuelle et à la vie affective et relationnelle à travers notre site et nos autres canaux d’information. Que pensez-vous d’une telle initiative?
Prof. Armand LÉQUEUX : C’est évident que c’est utile. il est tant aussi, que l’Afrique en général prenne en considération sa propre vision de la sexualité, du couple et de la famille. Même s’il n’y a pas nécessairement de différence importante, il y a une coloration différente, une façon différente d’aborder les choses; et je pense que c’est très important à ce niveau. Mais, la sexualité épanouie participe à l’épanouissement général de la personne. Et donc, travailler à promouvoir la bonne information autour de la sexualité, c’est travailler au bonheur et à l’épanouissement de la personne, du couple, à la paix et à la pros-périté d’un pays comme le vôtre, c’est sûrement très important.
ONG GECOSOW : Comment définissez-vous donc la sexualité et quel est, plus concrètement, ce lien qu’elle aurait avec le bien-être en général ?
Prof. Armand LÉQUEUX : C’est une très large question, très difficile mais je la prendrais d’une version bio-logique pour l’écarter, l’élargir après. La sexualité, elle est là, elle nous dépasse. C’est une pulsion qui nous habite et qui se sert de nous, d’une certaine façon, pour que la vie continue. Donc, c’est une façon de voir les choses, que la vie nous traverse. Nous ne l’avons pas fabriquée nous-même, elle nous traverse et nous la transmettons à nos enfants. Et pour cela, il y a besoin d’une pulsion, il y a besoin d’un moteur qui est plus fort que nous, et ce moteur, c’est la sexualité. Parce que si ce n’était pas plus fort que nous, l’attrait de faire des enfants finalement, de façon purement rationnelle, n’est pas si grand que cela. On préférerait être égoïste, vivre pour soi-même .On ne peut pas s’empêcher d’y aller, entre autres, à cause de la pulsion sexuelle. Et ce moteur, les humains en ont fait plein de choses, ils en ont fait des choses très merveilleuses : l’amour, le don de soi, la transcendance, la roche de Dieu, la roche d’un sens dans la vie; mais aussi des choses horribles : les viols, l’appropriation des choses, la guerre, la prédation. C’est la même pulsion qui peut nous permettre de faire les choses magnifiques et des choses horribles, aussi bien qu’à titre individuel qu’à titre général. C’est aussi l’adresse d’un projet, d’une page comme la vôtre. C’est que nous avons à nous aider les uns les autres; nous avons des besoins de nous mettre en-semble pour des balises, des barrières, et de canaliser ensemble notre sexualité. C’est comme ça que les lois et les législations dans les pays en général ne permettent pas de faire n’importe quoi avec sa sexualité. Ma sexualité m’appartient et en même temps appartient au groupe dans lequel je suis ou vis. Donc le groupe a le droit de me canaliser, de dire ceci : « Tu peux faire ça ! Tu ne peux pas faire par exemple de la pédophilie, abuser les enfants, même si tu as cette pulsion et que tu aimerais le faire ». Donc, je répondrais le mot pulsion, synonyme de sexualité.
ONG GECOSOW : Quels sont les problèmes réels auxquels le manque d’information ou la désinformation en matière sexuelle donneraient-ils lieu ?
Prof. Armand LÉQUEUX : Il faut commencer depuis l’enfance. L’éducation sexuelle, c’est la parole qui va tourner autour de la sexualité mais, la parole au sens large du terme. Ce n’est pas seulement un discours de papa ou de maman qui dit : « Allez mon fils maintenant tu as 12 ans. viens ici ! Je vais te dire : bientôt tu vas avoir la puberté ô ma fille… ». C’est sûrement très important. Mais c’est tout ce qui circule dans le non-dit, dans le non verbal, dans l’ambiance dans la famille. Si dans la famille on se respecte. Si dans la fa-mille, quand on est ouvert et bienveillant tout en disant : « Ce voisin qui se comporte comme ça, ce n’est pas tout à fait correct ». Mais on ne le condamne pas : ce n’est sans doute pas ce qu’il faut faire. Ce sont des messages indirects et très importants qu’on apporte ainsi. Un enfant qui a baigné dans un environnement familial où on considère que la sexualité est à la fois bonne et mauvaise, est mieux armé pour maitriser ces deux versions de la pulsion bénéfique ou maléfique. Alors que quand il y a une désinformation par rapport à l’aspect maléfique de la sexualité où on pourrait dire : « Mon fils ou ma fille, vas-y! tu peux faire tout ce que tu veux, il n’y a pas de problème, il n’y a que du bien là-dedans ». Il ou elle va se casser la figure, va faire du mal, va souffrir. Il ou elle va faire souffrir et ce n’est pas une bonne option. Et l’autre option, ce serait de considérer qu’il n’y a que du maléfique dans la sexualité et de dire : « Attention ! C’est mauvais, c’est dangereux, il ne faut pas approcher ce versant qui habite en toi ». L’enfant qui entend ça, et qui devient adolescent, cette pulsion est tellement forte que de toute façon, il va rechercher des situations sexuelles. Il va se sentir coupable. Il va devenir névrosé. Ou bien, il va se défendre contre lui-même et son épanouissement va être compromis. Donc une désinformation dans le sens : « Tout est bon, tu peux tout faire » n’est pas correct et une désinformation dans l’autre sens : «Tu ne peux rien faire, c’est très dangereux » n’est pas correct non plus. C’est dans les deux sens que la désinformation et l’absence d’information est toxique. Mais, ça continue à tous les âges, quand l’église, les structures sociales, les politiques parlent du couple et de la famille, ils ont sans doute à faire attention à aborder ces deux versants. Il y a cette phrase célèbre de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête; mais qui fait la bête, ne fait pas l’ange ». Donc il faut garder les deux versants en soi.
ONG GECOSOW : Vous parliez tantôt de la sexualité épanouie en la situant dans le contexte con-jugal. Est-ce faire l’amour tous les jours ? Est-ce avoir l’orgasme tout le temps ? Selon vous, qu’est-ce que la sexualité épanouissante?
Prof. Armand LÉQUEUX : Je pense que c’est le couple lui-même qui peut répondre. Je rencontre des couples qui consultent parce qu’ils n’ont pas une sexualité épanouissante. Ils ont des difficultés. Et souvent ça part de comportements, de fonctionnement qui ne sont pas satisfaisants. Et si la consultation continue, et si on a l’occasion de se revoir ou si ces personnes s’ouvrent, je me rends compte que très souvent, la question de l’épanouissement n’est pas là. La question n’est pas dans : « Est-ce qu’on le fait bien ? Est-ce qu’on le fait assez souvent ? Est-ce qu’on a du plaisir ensemble ? Est-ce qu’on a l’orgasme chaque fois ? Est-ce que ça se passe techniquement d’une bonne façon ? » C’est un premier niveau qu’on ne peut pas négliger et c’est le niveau que, en général, la sexualité clinique aborde. Mais il y a un 2ème niveau. C’est : « Qu’est-ce que nous vivons avec ça ? ». Et donc, il y a des gens qui fonctionnent bien et qui ne sont pas épanouis parce qu’ils ne communiquent pas. Ils ne sont pas en communion. Il n’y a pas de partage réel autour de ce qu’ils vivent. Chacun a l’impression de se servir de l’autre comme si on se masturbait dans l’autre; et c’est comme si on utilisait l’autre pour sa propre satisfaction. Ce n’est pas épanouissant au niveau conjugal. Par contre, il y a des couples pour qui, techniquement, ce n’est pas bon parce qu’il y a des problèmes, la maladie, l’âge, des soucis, des blocages qui viennent de l’enfance. Monsieur a des problèmes. Madame a des problèmes, ils n’ont pas le plaisir. Ils n’ont pas vraiment le désir ensemble. Ils ne se retrouvent pas ou, monsieur a des problèmes d’érection, madame a mal quand elle a des rapports pour des raisons psychologiques, médicales, physiques, médicamenteuses, chirurgicales … et pourtant, ils disent : « Notre sexualité est épanouissante ». Donc on peut-être épanoui, alors qu’on boite et on peut-être malheureux alors qu’on court comme un lapin. C’est une question de vision, ce qu’on en fait, et ce que l’on vit à l’intérieur de soi. J’ai rencontré dans ma vie de médecin, de sexologue, beaucoup de gens avec des boiteries. Ils boitent sur le niveau sexuel à cause de l’opération, d’un cancer, des difficultés médicales, chirurgicales et qui pourtant, travaillent leur sexualité dans leur couple et cela leur rapporte beaucoup. Ils peuvent en parler, vivre des choses riches, importantes qu’ils n’auraient peut-être pas vécues, s’ils n’avaient pas eu cette difficulté. Il faut faire attention parce que avec un discours pareil, on pourrait dire qu’il vaut mieux être malade que bien portant pour être épanoui. Ce n’est pas du tout ce que cela veut dire. Mais à travers les difficultés, à travers les failles, il y a une ouverture de l’humain qui peut s’épanouir. C’est dans ce sens que j’ai écrit un article qui s’intitule : « Bienheureux les boiteux ». Je souhaite que les gens boitent, mais parce qu’ils boitent, ils doivent se poser des questions. Et quand on doit se poser des questions, alors, on parle et on partage. Quand tout fonctionne bien, on ne se pose pas de question. C’est la même chose quand une famille est endeuillée et que les membres s’aiment, ils se disent des choses qu’ils ne se seraient jamais dites autrement. Ils par-lent de leur frère qui est parti et ils parlent à leur mère pour dire : « Tu étais une mère comme ceci, comme cela », et il y a de l’amour qui passe dans la famille à l’occasion de quelque chose d’épouvantable. On peut faire la comparaison avec la sexualité. Il peut y avoir un épanouisse-ment dans la difficulté, dans la détresse, dans la souffrance. Mais il faut faire attention. Je ne suis pas entrain de dire qu’il faut espérer la souffrance, la difficulté. Et si je peux me permettre aussi, j’aime bien renverser des phrases toutes faites et il y a une phrase toute faite qui est : « C’est plus facile à dire qu’à faire ». Quand quelqu’un vous donne un conseil, vous lui dites : « D’accord, mais c’est plus facile à dire qu’à faire ». Eh bien ! Je pense qu’en matière de sexualité, on peut renverser cette phrase : « C’est souvent plus facile à faire qu’à dire ». Il y a des couples qui parviennent à faire l’amour sans trop de difficultés. Mais, ils ne peuvent pas en parler parce que, en parler rejoint quelque chose de plus personnel encore que de le faire. Sauf difficulté, on peut faire l’amour pratiquement avec n’importe qui (enfin j’exagère un peu). Mais c’est vrai, il y a des relations sexuelles payantes ou dans l’état d’ivresse, etc. On peut le faire. Mais, le dire, parler de sa sexualité avec son conjoint, avec son/sa partenaire et dire ce que l’on vit, ce que l’on ressent, ce qui vibre en soi quand on est excité, quand on a envie, oups ! Cela demande une confiance plus grande encore que de se déshabiller et de faire l’amour. Puisque c’est de là que vient l’épanouissement. On est jamais tout à fait transparent. Mais, on pourra ouvrir une partie de soi, et la donner à l’autre et lui dire « Viens en moi, il y a de la place chez moi pour toi ».
ONG GECOSOW : Pour finir, j’aimerais savoir les responsabilités à divers niveaux, en ce qui con-cerne l’éducation sexuelle et à la vie affective et relationnelle : politique, professionnel, personnel…?
Prof. Armand LÉQUEUX : Nous avons les trois « P » : les politiques, les professionnels de la santé, et les personnes. Au niveau politique, je pense qu’il y a des recommandations générales de l’OMS qui sont intéressantes à lire, à observer et qui s’occupent de ce qu’on appelle la santé sexuelle et reproductive. On devrait avoir le droit à tout ce qui conduit à être en bonne santé dans sa sexualité et dans sa reproduction. On a plutôt le droit d’avoir tous les moyens qui peuvent conduire à être heureux dans sa sexualité. Il y a longtemps de cela, l’OMS avait un slogan un peu avant l’année 2000 qui était : « La santé pour tous en l’an 2000 ». C’est débile, on ne peut pas promettre pour tous. On peut promettre les moyens pour la santé. Donc c’est la même chose. Le politique n’est pas là pour rendre les gens heureux au niveau sexuel ou de la reproduction. Mais il est là pour donner des moyens pour qu’ils y arrivent. Donc au niveau sexuel, les informations, la possibilité de s’épanouir sexuellement parce qu’on en a parlé dans son enfance, parce que les messages sont clairs, sont donnés et il n’y a pas de tabou. Et dans le même temps, on n’est pas dans n’importe quoi. Cette pulsion, il faut la respecter et la contrôler comme je le disais au début de notre dialogue. Au niveau de la santé reproductive, c’est la protection surtout des femmes contre les viols, les avortements dans des conditions difficiles, malheureuses avec la mortalité qui s’en suit, les fausses couches, la mortalité prénatale; les femmes qui meurent en couche, les femmes qui ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants. C’est la santé de la femme et de la reproduction en générale. Donc, il y a les responsabilités politiques certainement à ce que l’épanouissement sexuel, reproducteur et familial soit disponible. Au niveau professionnel, c’est la même chose. Les médecins, les sexologues, les psychologues et les spécialistes de la famille sont là pour entourer les gens et les aider à maitriser au mieux cette pulsion, pour qu’ils soient épanouis. On ne dira pas aux gens comment ils doivent être épanouis, mais les aider à trouver eux-mêmes le chemin de leur propre épanouissement en les mettant dans les meilleures conditions possibles. Et sur le plan personnel, l’on doit reconnaître en soi cette force, cette pulsion et se dire qu’est ce que je vais faire pour qu’elle soit là pour le bien, le mien mais aussi le bien de ceux qui m’entourent, de mes enfants, de la cité, du monde dans lequel je suis inscrit.
ONG GECOSOW : Alors, cher Professeur, votre dernier mot à l’endroit de nos lecteurs
Prof. Armand LÉQUEUX : Je les encourage à participer à un projet comme celui-là parce qu’une page de ce genre ne peut pas être à sens unique. Des gens qui écrivent et qui envoient des informations, il faut avoir un retour. L’idéal serait que les lecteurs répondent, qu’ils posent des questions et qu’ils apportent leur avis. Cela pourrait être un lieu de dialogue extrêmement riche. C’est ce que je souhaiterais, un lieu de dialogue entre des professionnels de la vie affective et sexuelle et le public.
ONG GECOSOW : Je vous remercie de m’avoir permis cette interview avec vous. Merci pour la disponibilité et la spontanéité et j’espère avoir d’autres conseils de vous plus tard.
Entretien réalisé et transcrit par
Jean-Baptiste LINSOUSSI,
sexologue clinicien,
Chargé de programme